lundi 4 octobre 2010

Libéralisme 2.0 à la Française ?


Bon, évidemment comme ça de but en blanc on va croire que je règle mes comptes. Ce n’est pas totalement faux, mais ce n’est pas totalement vrai non plus, car en matière d’idées préconçues et de certitudes de mous de veau, il faut quelque fois prendre un peu de recul et tenir compte du contexte.


Le WEB 2.0, la mise en réseau, les solutions de communications unifiées, les ERP, les services personnalisés, les solutions de mobilités, les terminaux de mobilités, les tablettes PC, le crowdsourcing, l’open innovation, l’écolonomie, le green IT j’en passe et des meilleurs sont aujourd’hui, à en croire les spécialistes, autant de gisements et d’opportunités de croissance et de révolution de nos habitudes. Mieux encore, notre monde est à la croisée des chemins, notre société ne sera plus jamais la même, la multitude des offres et des contenus révolutionne notre économie, la dématérialisation modifie profondément nos procédures décisionnelles d’achat, des robots d’indexation et de recherche d’une capacité insoupçonnable pour l’immense majorité de nos cerveaux cherchent et trouvent pour nous les obscurs objets de nos désirs !


Dans l’ombre, alors que nos synapses tricotent et détricotent nos envies, nos besoins, nos désirs refoulés et enfouis au tréfonds de notre inconscient, quelque part sur la toile, une entreprise, un entrepreneur, un philosophe, un internaute, une machine, un moteur de recherche traque pour nous l’information qui « matche » avec ce que nous ne cherchons nous même pas encore. Il la traite, l’analyse, la benchmark…


La prospective de masse est en marche, gros malin que nous sommes, que croyons nous, que nous, tout seul devant notre écran nous pensons qu’il n’y a pas dans l’immensité de la galaxie internet quelqu’un, quelque chose, une entité qui n’a pas eu la même idée que nous, ou tout du moins qui ne s’est pas dit « tiens, à mon avis il y a surement un gogo près à mettre quelques piastres sur un truc dans le genre ».


Fatale erreur, non pas sur l’opportunité, certes immense (quand celle ci ne tend pas à la mystification, combien de gamins auréolés des félicitations du jury pour un devoir de philo pompé à un illustre inconnu vaguement wikipédié ou googlisé), mais bien plus sur la révolution attendue.


Nous croyons révolutionner en innovant la société, hélas non, nous ne sommes qu’en train de la faire évoluer. Ce qui change « c’est l’accès à », et non le principe qui sous tend nos économies et la rigidité de son cadre que sont le libéralisme et le capitalisme.


Mince alors, encore un rendez-vous raté, après avoir cru pouvoir, à défaut de devoir, réformer la finance internationale suite aux conséquences désastreuses d’un pseudo bricolage d’une tribu consanguine de financiers nourris au sein d’un même système de pensée unique (issue certes de différentes écoles), nous voilà en train de transformer le premier et seul outil transcendantal non philosophique et non religieux en gigantesque machine à pognon qui renforcera le pouvoir central de quelques uns.


Hélas le réseau s’est incarné, ne voyez pas ici la naïveté d’un idéologue apôtre de l’altruisme à tout prix. Il suffirait de remonter le fil d’Internet pour y trouver les gènes de la guerre froide et de l’obsession de garantir les communications en cas de conflit nucléaire global, c’est pour dire si Internet et démocratie n’ont strictement aucuns ancêtres communs. Non il s’est incarné dans son essence même au travers du marché, et les rares idées humanistes qui s’en sont inspirées souffrent de l’implacable réalité de l’ancienne économie dont la grille de lecture prévaut encore aujourd’hui en matière de nouvelle économie.


Des bulles dans les yeux :


En 2001, tout juste dessaoulé de la gueule de bois de sa vie, le milieu de la finance internationale s’est appliqué à lui même un concept vieux comme le monde « chat échaudé craint l’eau chaude ». Ce qui d’un pur point de vue reptilien n’est pas totalement absurde. Tout cela serait probablement parfait si dans cette histoire nous n’avions pas fait malencontreusement abstraction d’un élément déterminant, celui de la mécanique des fluides.


Avec le sens de la mesure qui caractérise tout bon financier qui se respecte, les investissements internet sont ainsi passés du tout au rien. En quelques mois, l’économie d’internet s’est télétransportée d’une capacité de financement totalement délirante associée à des objectifs de gains extravagants à… « Rien ».


Résumons, une bande d’allumés, quelques fois géniaux, quelques fois visionnaires, quelques fois totalement à coté de la plaque ont fait le hold-up du siècle auprès d’une bande de cravatés qui ne demandait qu’à croire au père Noël. Et quand un cravaté croit au père Noël, il ne neige pas que de la poudre, mais aussi des dollars, des conteneurs de dollars. Par pure charité chrétienne je ne ferais pas la liste des investissements colossaux réalisés dans des projets invraisemblables, autour de business modèle inexistant, avec des TRI attendus à faire passer Madoff pour un quêteur du secours populaire. Et en matière de promesses, ça fait un moment que l’on sait quoi penser de ceux qui y croient.


Jusque là rien de nouveau sous le soleil, j’enfonce les portes ouvertes laissées béantes par le tsunami de la bulle internet. Le vrai souci, ce n’est pas les milliards de dollars qui se sont envolés dans l’hyper espace internet, le problème ce n’est pas que quelques uns aient perdu beaucoup vu que ce sont les mêmes qui se sont gavés durant des décennies.


C’est qu’aujourd’hui, la fameuse mécanique des fluides évoquée ci-dessus s’est stoppée net. Non… elle ne s’est pas stoppée, elle s’est réorientée, son pouvoir d’irrigation et d’hydratation s’est redéployé entre cravatés. D’un système chaotique, naissant, arborescent et fortement créatif, nous sommes passés à un système tendant à la garantie, à la consanguinité, au formatage et à la pure industrialisation des idées. Les cravatés cherchent toujours le « bon gros coup ». Le truc énorme, le big hit, la tête de gondole, bref, ce que leur promettaient les créatifs, au détail près qu’ils veulent le faire avec du cravaté, de l’estampillé, du labellisé, du coopté, du cousin germain.


Maintenant regardons un peu en arrière, sur les 10 plus gros succès internet, que trouvons nous, des cravatés ou des allumés ? Des visionnaires ou des gestionnaires ? Des innovants ou des évoluant ?


Il n’est pas question d’opposer les styles, les goûts ou les couleurs, il est question de permettre aux « talents » et aux « idées » de s’exprimer tout en les associant à des « profils » et à des « compétences », il est question de mettre en œuvre de véritables outils de logistique des idées et des fluides vitaux à l’accomplissement d’un projet. Gérer un projet, c’est le qualifier au fur et à mesure en le nourrissant, le renforçant et en lui adjacent les compétences nécessaires à sa bonne conduite.


C’est ce que devrait être le Libéralisme 2.0, et paradoxalement c'est exactement ce qu’il n’est pas, et ce dont il s’éloigne à grands pas. La négation de la notion biomorphique d’un projet, et la peur que suscite ça permanente adaptation à son environnement, la notion d’intégration, au sens biologique et de système intégré, sont autant de concepts auxquels nos « élites » ne sont pas formées et encore moins confrontées au cours de leur parcours académiques. La perception analytique et matricielle s'est substituée à la perception globale. C'est sur ce point que la gestion tricolore de l'innovation est consanguine. Alors même que le cercle doit s'ouvrir, celui-ci se resserre, se concentre et finalement s'étouffe.


L’ouverture, et son corolaire qu’est l’écoute active, la capacité de remise en question, ne sont que les items des jobs descriptions des offres d’emplois qui tapissent internet depuis le milieu des années 2000. Mais ce n’est que l’appartement témoin, une fois emménagé, et à quelques exceptions près, c’est la précaution absolue qui prend le relais. Survivre dans l’entreprise, c’est ne pas faire de vague, et par dessus tout ne pas se tromper, ne pas se tromper c’est fermer sa gueule. La norme remplace l’idée, le label remplace l’usage et le besoin. Le parler Geek n’est que l’ultime avatar de la totale perte de sens et de contenus des projets.


Notre économie, souffre d’un cruel manque d’innovation, au delà de l’innovation en elle même, il s’agit bien de filière et de réseau d’innovation, de culture de l’innovation. Que font les investisseurs, ils scannent le marché pour recouper les idées susceptibles de répondre aux attentes de leur propre grille de lecture. De ce fait leur tamis est devenu totalement obsolète, leur approche est faussée par deux paramètres, le premier est liée au traumatisme de l’explosion de la bulle Internet (elle même créée par leur propre fantasme de rentabilité), le deuxième est leur formatage culturel.


Notre pays souffre d’un double handicap, la fascination que le libéralisme anglo-saxon exerce sur nos élites et sur les décideurs... Ce monde merveilleux du possible et de la créativité, mais pour l'appréhender, encore faudrait-il en intégrer ses fondamentaux propres, car ces succès sont probabilistes et ne reposent sur aucun business modèle lisible pour un financier.


La notion de renforcement et de consolidation est venue se substituer à celle d’évolutivité, hors, sur les succès (mondiaux) évoqués précédemment, tous partagent un trait en commun, leur évolutivité, leur souplesse et leur adaptabilité, ces projets sont vivants, car ils se nourrissent d’eux mêmes et pas uniquement par la contribution d’une élite fut-elle ultra diplômée et ultra compétente. Ils laissent la place au « vivant », au « chaos ».


L’effet levier de la Net Économie c’est bien qu’elle redevienne une économie du « Net » ou du « Web » et non une énième adaptation de l’ancienne économie.


Financer la création et l'innovation, c'est la faire sienne, la comprendre, l'intégrer comme une composante de son propre système référentiel, c'est en accepter les risques. En l'état notre économie en est incapable.

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